Nous arrivons à Saigon en plein jours fériés et comme
l’indique les affiches placardées un peu
partout dans la ville, c’est la fête de l’indépendance. La ville nous semble en ce jour plutôt calme et décontractée, car ce long week-end férié est l’occasion pour les locaux de se reposer et de rester chez eux
Ainsi, la ville connait une
sorte d’accalmie pendant quelques jours et ce n’est qu’une fois les festivités
terminées qu’elle reprend son vrai visage, celui d’une ville boulimique et
frénétique dans laquelle tous le monde se mélange et se bouscule dans un
brouhaha infernal. Saigon est une fourmilière encombrée et tonitruante dans
laquelle tous nos sens explosent.
La première chose qui frappe c’est le bruit. Saigon est une
ville qui a de la voix et ses habitants y sont pour beaucoup. Outre les
innombrables et parfois lassantes interpellations que les moto-taxis et les vendeurs
de rue réservent aux touristes, les vietnamiens en eux même sont bruyants. Ils
causent, ils rient et débattent beaucoup. On les sent généralement bon-vivants
et ils aiment à se retrouver sur le bord de la route, autour de leurs mini-table, à manger un
pho, à boire un café glacé et à jouer aux cartes ou aux dames. On les rencontre
aussi beaucoup dans les parcs municipaux à s’amuser devant un match de
badminton ou de "foot-volley". Les enfants et écoliers ne sont pas plus sages et ils
sont partout, jouant et criant à tue-tête, sans se soucier de ce qui les
entoure. Tout ce petit monde est bien affairé et ça procure à la ville une
surprenante énergie.
Ceci dit, le fait que les gens parlent fort n’est pas si
étonnant que ça : Il faut du coffre pour couvrir le bruit des scooters et des
mobylettes. Les deux-roues sont partout. Montés du cavalier solitaire à la famille complète, ils jaillissant de tous les cotés et de tous
les sens. Le code de la route n’a pas vraiment de sens ici et seules les
grandes avenues semblent avoir assez d’autorité pour imposer un minimum de
règles à cet essaim bourdonnant. Malheureusement celles-ci n’ont pas encore
assez de pouvoir pour les empêcher de klaxonner toutes les deux secondes. Dans toute
la ville, ça communique à grands coups de trompette au point que ça en devient
fatiguant. De même, chaque feu-tricolore ressemble à un départ de
grands-prix au devant duquel s’entassent tous ces engins, alors prêts à
bondir sur le dernier piéton qui s'est risqué à traverser la rue tardivement. Et quand
ils n’envahissent pas la route, ils squattent les trottoirs. Garés n’importe comment
aux pieds des immeubles, ils ne laissant souvent qu’un accès réduit aux portes
des boutiques, hôtels et restaurants. Ici, le deux-roues est roi… et
gare au piéton !
Mais peut être plus encore que le bruit, ce sont les odeurs
qui accaparent l’esprit. A Saigon, on cuisine dans la rue, souvent à même le sol, si bien que ça sent
la soupe et la viande un peu partout. Aux abords des marchés, les saveurs explosent et à coté des épices et herbes aromatiques, les étales de fruits et les
légumes frais libèrent peu à peu leurs senteurs tandis que, plus loins, les effluves de poisson s’évertuent à gâcher la magie du moment. Tout est comme ça, en nuances et en contradictions. Et il en
va de même pour leur cuisine où la viande et les légumes subtilement préparés
s’agrémentent en général d’une sauce de poisson aux relents nauséabonds. Seules les grandes artères font l’unanimité.
Par force ou par choix, il n’y a pas de cuisine de rue le long des boulevards
principaux, seulement des restaurants. Du coup dehors ça sent les gaz
d’échappement. On se rend alors compte que les petites rues aux senteurs exotiques
sont tout de même plus sympathiques même si certains parfums, alors accentués par la chaleur, ne sont pas vraiment à notre goût.
Visuellement, on ne peut pas dire que Saigon soit une jolie
ville. Contrairement à Bangkok, elle n’est pas en chantier permanent et elle
semble plutôt figée dans son développement. Il y a peu de grandes et pompeuses
tours de verre. La plupart des immeubles sont étroits, hauts d’une petite
dizaine d’étages et collés les uns aux autres. Beaucoup sont de style Art-Nouveaux,
typique des années 30, mais certains, plus modernes, adoptent une architecture plus brute et un peu plus austère. Seuls les anciens bâtiments coloniaux et les centres
commerciaux ultramodernes semblent jouir d’une certaine liberté et d’un certain
espace. Ainsi, la ville se distingue par ses deux types de rues. D’un coté il y
a les grands boulevards à l’européenne, ombragées et bordées de galeries
commerciales qui débouchent sur de grands monuments à la française. Et de
l’autre, les ruelles populaires, plus étriquées, au devant desquelles s’élèvent
de vieux immeubles en béton bardés d’installations électriques labyrinthiques. Dans
tout cela, ce qui manque le plus, ce sont les couleurs. Tout semble gris et le
vert des jardins, le rouge des affiches et les néons scintillants des vitrines
ne suffisent pas à faire vibrer les façades ternes et décrépie des vieilles
bâtisses.
Comme pour compenser ce manque d’éclat, les temples sont à
l’inverse colorés et surchargés. On ressent parfaitement les influences
chinoises dans l’architecture et les motifs décoratifs des bâtiments. De même à
l’intérieur, les Bouddhas paraissent moins solennels qu’en Thaïlande et ils
sont souvent accompagnés de génies ou de divinités étranges issus de
l’hindouisme, du confucianisme ou du taôisme. Les ex-voto vivants à l'image des tortues peinturlurées de la pagode de l'empereur de Jade rajoute à l'étrangeté des lieux. Il résulte de tout ça un joyeux mélange vif et coloré
qui vacille entre le kitch et le zen !
Saigon n’est pas une ville accessible. Son charme est
intérieur et il faut casser plusieurs carapaces pour l’apprécier. Cependant,
même si l’on arrive à cela, il reste difficile de faire abstraction des
stigmates que les années de guerre et d’isolement ont laissé sur la
population. La pauvreté reste très présente et beaucoup de gens vivent de peu. Il y a de tout à Saigon, du bon et du moins bon,
et il faut d’abord accepter cela pour comprendre et apprécier la ville.
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