Alice Springs n’a rien d’une ville agréable. Il y fait très
chaud, il n’y a pas grand-chose à faire et elle n’est même pas très jolie. Elle
ressemble à la plupart des petites villes australiennes avec ses rues
rectilignes, ses galeries commerçantes et ses parcs. En revanche, elle se
distingue des autres par sa population aborigène qui, malheureusement, ne
contribue pas à la rendre plus chaleureuse.
Depuis notre arrivée en Australie, nous avons tenté d’en
savoir plus sur ce peuple méconnu. Nous avons au cours de nos visites découvert
une culture ancestrale complexe, parfois mystérieuse et toujours riche de sens.
Celle-ci est largement mise en avant par les autorités australiennes, alors que
le peuple qui la produit est constamment caché.
L’Australie blanche, celle des colons, à fait beaucoup de
dégâts et elle cherche depuis quelques décennies à renouer avec son passé en
essayant de revenir sur certaines de ses erreurs. La reconnaissance du peuple
aborigène, longtemps spolié et mis à l’écart, fait parti de ce travail. Ainsi
les politiques actuelles travaillent à
une reconnaissance, une intégration et une promotion de cette culture. L’art aborigène
a largement trouvé sa place dans les musées nationaux et les nombreux centres
culturels et autres galeries du pays s’en font les gardiens. Certains
territoires, notamment les lieux sacrés, ont été restitués. Certains emplois
sont donnés en priorité aux aborigènes et des avantages sociaux leurs sont
attribués. Tout cela contribue à la revalorisation de ce peuple qui, nous
l’espérons, pourra peu à peu faire partie intégrante de l’identité
Australienne.
Mais cette politique a aussi ses limites. Elle ne tient pas
compte du mode de vie et de la pensée aborigène, aux antipodes des conceptions
occidentales. Malgré ses efforts, la nation australienne a du mal à concilier
ces deux cultures diamétralement opposée. Les notions de propriété, de
hiérarchie et de travail sont très différentes des nôtres si bien que nos
modèles occidentaux ne sont pas forcement compatibles avec les leurs. Ainsi, si
certains d’entre eux ont fait le choix de s’adapter aux modes de vie “européens“,
beaucoup n’y trouvent pas leur place et se retrouvent soit isolés aux confins
de leur territoires soit dans une situation précaire, n’ayant que les
subventions de l’Etat pour vivre.
Il en découle une triste et profonde division entre les deux
peuples. Perdus dans un pays qui ne leur ressemble plus, les aborigènes d’Alice
Springs se retrouvent alors à errer dans les rues, passant leur journée assis à
l’ombre des arbres à dépenser en alcool les allocations semestrielles que leur
versent le gouvernement.
Ceci est invisible dans les grandes villes le long de la
côte et il faut s’aventurer un peu dans l’Outback pour vraiment se rendre
compte de la situation. Nous avions déjà pressenti la chose dès lors que nous
avions traversé Cooder Peddy, manquant de peu de se prendre une pierre sur la
voiture pour une photo de la ville prise à la volée alors qu’un aborigène
passait dans le cadre. C’est là aussi que, pour la première fois, nous les avons
croisés, oisifs, assis le long des routes, passant le temps à boire de l’alcool
et à se quereller. Les choses ne semblaient pas non plus s’arranger alors que
nous nous enfoncions dans le désert et nous retrouvions les mêmes dispositions quand
nous nous arrêtions dans les stations du bord de route. Quelque peu surpris,
nous avions mis ça sur le compte de l’isolement, de l’hostilité du climat et de
la rudesse des conditions de travail. Mais Alice Springs est bien différente de
tout cela… Il s’agit d’une ville australienne classique, fournissant à ses
habitants toutes les infrastructures et commodités d’usage. Pourtant le tableau
reste le même, nous démontrant irrévocablement que la question aborigène est
réellement d’ordre culturel et que le climat ou l’isolement n’ont pas grand
chose à voir dans tout cela.
Les australiens blancs sont eux mêmes partagés sur la
question et les discussions que nous avons pu avoir avec eux à ce sujet sont
souvent déconcertantes. Certains se contentent de relater des faits qu’ils ont
vu à la télévision, sans n’avoir jamais été dans l’Outback. D’autres se
montrent assez critiques envers le gouvernement qui, à leur sens, continue de
prendre des décisions sans réellement consulter les aborigènes eux mêmes.
D’autres encore préfèrent leur rejeter la faute en affirmant qu’ils ne savent
pas profiter pas de ce qu’il leur ait offert alors qu’ils ont pourtant tout
pour prospérer. Enfin il y a la jeune génération qui restent perplexe, partagée
entre le désir de voir leur pays tourner la page et la volonté de ne pas
commettre les mêmes erreurs que leurs parents. Finalement très proche de nos
propres préoccupations en matière d’immigration, la question aborigène reste
très sensible et il est difficile de faire la part des choses entre les torts
et les raisons de chacun.
Nous aurions aimé discuter de cela avec les principaux
intéressés, mais les aborigènes ne sont pas facile d’accès et il n’est pas très
aisé de les aborder. Même les artistes ne sont pas très accessibles. Les
galeries d’art sont pourtant nombreuses. Il est possible d’acheter des toiles
dans un nombre considérable de magasin et à tous les prix. Il est même possible
de voir travailler les artistes, alors assis à leur table ou à même le sol,
passant des heures entières à apposer des points colorés sur la toile. Mais par
contre, il est presque impossible de leur parler directement (à part peut être
dans les ateliers proposés par les centres culturels). Les galeries ont toute
autorité et, sous couvert de respect de l’artiste, elles empêchent tout
dialogue direct avec eux. Un sentiment étrange se dégage de ces lieux. On a du
mal à cerner qui pose les limites : Est-ce réellement le peintre qui, pour
des questions linguistiques, idéologiques ou commerciales, ne souhaite pas
communiquer sur son art et sa condition, ou est ce le galeriste qui protège ce
qui n’est pour lui finalement qu’un investissement très rentable ?
Quoi qu’il en soit, l’Art aborigène est réellement
fascinant. En réalité, la simple notion d’artiste est surprenante. Pour les
aborigènes, peintre est une condition sociale, un privilège attribué à
certaines personnes et inaccessible pour les autres, aussi talentueuses soient
elles. Ensuite il en va de même : L’artiste ne peint pas ce qu’il veut.
Certains motifs, les plus sacrés par exemple, ne peuvent être réalisés que par
certaines personnes. Chaque artiste possède son motif, qu’il répète à l’infini,
dans un style qui par contre lui être propre. C’est ainsi que l’on retrouve
souvent les mêmes formes, mais traitées de manière différentes. Les motifs
végétaux et animaux sont les plus courants. Mais certaines formes codifiées,
vestiges d’une cartographie ancienne, comme la représentation des trous d’eau,
des troupeaux ou des pistes sont aussi très courantes. Les motifs ne sont pas
très variés en soi, la diversité se reflétant surtout dans la manière dont
l’artiste va traiter son sujet.
Enfin, les techniques de peinture diffèrent d’une région à
l’autre. Ainsi, les pointillés colorés que l’on retrouve un peu partout dans le
pays ne sont pas la seule forme d’expression et, par exemple, du coté de
Darwin, les artistes ont développés un art basé d’avantage sur les archures et
les entrelacs. Dans ce dernier cas, la palette de couleur traditionnelle est
plus rigoureusement respectée et l’on retrouve une prédominance de l’ocre
rouge, de l’ocre jaune, du noir et du blanc.
La peinture n’est pas la seule forme d’art aborigène, même
si c’est probablement la plus variée. La gravure et plus récemment la
pyrogravure ont fait leurs apparitions dans les galeries australiennes. Ainsi
des morceaux de bois tortueux recouvert d’écailles de serpents ou de lézard
pyrogravé donnent vie aux animaux sacrés aborigènes. Il est aussi possible de
retrouver ce type de motifs sur des morceaux d’écorce servant autrefois de
récipients pour l’eau, les baies et les graines.
En conclusion, la Culture aborigène est réellement
merveilleuse et mérite que l’on s’y intéresse. Il est fort dommage que ceux qui
la produise et la font vivre ne soient pas autant respectés. Les australiens
commencent à se réconcilier avec un lourd passé. Ils ont amorcé un mouvement
dans ce sens, mais il faudra encore probablement beaucoup de temps pour que
chacun retrouve la place qui lui convienne.
Merci pour ce partage sincere et personnel de votre experience australienne. J'adhere completement a votre analyse. J'ai ressenti la meme chose, mais sans savoir l'exprimer aussi bien. Bravo!
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