mercredi 24 avril 2013

Alice Springs ou la condition aborigène

Alice Springs n’a rien d’une ville agréable. Il y fait très chaud, il n’y a pas grand-chose à faire et elle n’est même pas très jolie. Elle ressemble à la plupart des petites villes australiennes avec ses rues rectilignes, ses galeries commerçantes et ses parcs. En revanche, elle se distingue des autres par sa population aborigène qui, malheureusement, ne contribue pas à la rendre plus chaleureuse.
 
Depuis notre arrivée en Australie, nous avons tenté d’en savoir plus sur ce peuple méconnu. Nous avons au cours de nos visites découvert une culture ancestrale complexe, parfois mystérieuse et toujours riche de sens. Celle-ci est largement mise en avant par les autorités australiennes, alors que le peuple qui la produit est constamment caché.
 
 
L’Australie blanche, celle des colons, à fait beaucoup de dégâts et elle cherche depuis quelques décennies à renouer avec son passé en essayant de revenir sur certaines de ses erreurs. La reconnaissance du peuple aborigène, longtemps spolié et mis à l’écart, fait parti de ce travail. Ainsi les politiques actuelles  travaillent à une reconnaissance, une intégration et une promotion de cette culture. L’art aborigène a largement trouvé sa place dans les musées nationaux et les nombreux centres culturels et autres galeries du pays s’en font les gardiens. Certains territoires, notamment les lieux sacrés, ont été restitués. Certains emplois sont donnés en priorité aux aborigènes et des avantages sociaux leurs sont attribués. Tout cela contribue à la revalorisation de ce peuple qui, nous l’espérons, pourra peu à peu faire partie intégrante de l’identité Australienne.
 
 
Mais cette politique a aussi ses limites. Elle ne tient pas compte du mode de vie et de la pensée aborigène, aux antipodes des conceptions occidentales. Malgré ses efforts, la nation australienne a du mal à concilier ces deux cultures diamétralement opposée. Les notions de propriété, de hiérarchie et de travail sont très différentes des nôtres si bien que nos modèles occidentaux ne sont pas forcement compatibles avec les leurs. Ainsi, si certains d’entre eux ont fait le choix de s’adapter aux modes de vie “européens“, beaucoup n’y trouvent pas leur place et se retrouvent soit isolés aux confins de leur territoires soit dans une situation précaire, n’ayant que les subventions de l’Etat pour vivre.
 
Il en découle une triste et profonde division entre les deux peuples. Perdus dans un pays qui ne leur ressemble plus, les aborigènes d’Alice Springs se retrouvent alors à errer dans les rues, passant leur journée assis à l’ombre des arbres à dépenser en alcool les allocations semestrielles que leur versent le gouvernement.
 
Ceci est invisible dans les grandes villes le long de la côte et il faut s’aventurer un peu dans l’Outback pour vraiment se rendre compte de la situation. Nous avions déjà pressenti la chose dès lors que nous avions traversé Cooder Peddy, manquant de peu de se prendre une pierre sur la voiture pour une photo de la ville prise à la volée alors qu’un aborigène passait dans le cadre. C’est là aussi que, pour la première fois, nous les avons croisés, oisifs, assis le long des routes, passant le temps à boire de l’alcool et à se quereller. Les choses ne semblaient pas non plus s’arranger alors que nous nous enfoncions dans le désert et nous retrouvions les mêmes dispositions quand nous nous arrêtions dans les stations du bord de route. Quelque peu surpris, nous avions mis ça sur le compte de l’isolement, de l’hostilité du climat et de la rudesse des conditions de travail. Mais Alice Springs est bien différente de tout cela… Il s’agit d’une ville australienne classique, fournissant à ses habitants toutes les infrastructures et commodités d’usage. Pourtant le tableau reste le même, nous démontrant irrévocablement que la question aborigène est réellement d’ordre culturel et que le climat ou l’isolement n’ont pas grand chose à voir dans tout cela.
 
 
Les australiens blancs sont eux mêmes partagés sur la question et les discussions que nous avons pu avoir avec eux à ce sujet sont souvent déconcertantes. Certains se contentent de relater des faits qu’ils ont vu à la télévision, sans n’avoir jamais été dans l’Outback. D’autres se montrent assez critiques envers le gouvernement qui, à leur sens, continue de prendre des décisions sans réellement consulter les aborigènes eux mêmes. D’autres encore préfèrent leur rejeter la faute en affirmant qu’ils ne savent pas profiter pas de ce qu’il leur ait offert alors qu’ils ont pourtant tout pour prospérer. Enfin il y a la jeune génération qui restent perplexe, partagée entre le désir de voir leur pays tourner la page et la volonté de ne pas commettre les mêmes erreurs que leurs parents. Finalement très proche de nos propres préoccupations en matière d’immigration, la question aborigène reste très sensible et il est difficile de faire la part des choses entre les torts et les raisons de chacun.
 
Nous aurions aimé discuter de cela avec les principaux intéressés, mais les aborigènes ne sont pas facile d’accès et il n’est pas très aisé de les aborder. Même les artistes ne sont pas très accessibles. Les galeries d’art sont pourtant nombreuses. Il est possible d’acheter des toiles dans un nombre considérable de magasin et à tous les prix. Il est même possible de voir travailler les artistes, alors assis à leur table ou à même le sol, passant des heures entières à apposer des points colorés sur la toile. Mais par contre, il est presque impossible de leur parler directement (à part peut être dans les ateliers proposés par les centres culturels). Les galeries ont toute autorité et, sous couvert de respect de l’artiste, elles empêchent tout dialogue direct avec eux. Un sentiment étrange se dégage de ces lieux. On a du mal à cerner qui pose les limites : Est-ce réellement le peintre qui, pour des questions linguistiques, idéologiques ou commerciales, ne souhaite pas communiquer sur son art et sa condition, ou est ce le galeriste qui protège ce qui n’est pour lui finalement qu’un investissement très rentable ?
 

 
Quoi qu’il en soit, l’Art aborigène est réellement fascinant. En réalité, la simple notion d’artiste est surprenante. Pour les aborigènes, peintre est une condition sociale, un privilège attribué à certaines personnes et inaccessible pour les autres, aussi talentueuses soient elles. Ensuite il en va de même : L’artiste ne peint pas ce qu’il veut. Certains motifs, les plus sacrés par exemple, ne peuvent être réalisés que par certaines personnes. Chaque artiste possède son motif, qu’il répète à l’infini, dans un style qui par contre lui être propre. C’est ainsi que l’on retrouve souvent les mêmes formes, mais traitées de manière différentes. Les motifs végétaux et animaux sont les plus courants. Mais certaines formes codifiées, vestiges d’une cartographie ancienne, comme la représentation des trous d’eau, des troupeaux ou des pistes sont aussi très courantes. Les motifs ne sont pas très variés en soi, la diversité se reflétant surtout dans la manière dont l’artiste va traiter son sujet.
 
 
 Les couleurs utilisées sont aussi différentes d’un artiste à l’autre. A l’origine, les peintres aborigènes utilisaient tous des colorants naturelles : ocre rouge et jaune, charbon, cendres… Mais aujourd’hui, avec la variété de teintes proposées par les peintures acryliques, les artistes se détachent de la palette originale et composent des œuvres de plus en plus colorées aux frontières de l’art abstrait.
 

 
 
 
 
 
 
 
Enfin, les techniques de peinture diffèrent d’une région à l’autre. Ainsi, les pointillés colorés que l’on retrouve un peu partout dans le pays ne sont pas la seule forme d’expression et, par exemple, du coté de Darwin, les artistes ont développés un art basé d’avantage sur les archures et les entrelacs. Dans ce dernier cas, la palette de couleur traditionnelle est plus rigoureusement respectée et l’on retrouve une prédominance de l’ocre rouge, de l’ocre jaune, du noir et du blanc.
 
 
La peinture n’est pas la seule forme d’art aborigène, même si c’est probablement la plus variée. La gravure et plus récemment la pyrogravure ont fait leurs apparitions dans les galeries australiennes. Ainsi des morceaux de bois tortueux recouvert d’écailles de serpents ou de lézard pyrogravé donnent vie aux animaux sacrés aborigènes. Il est aussi possible de retrouver ce type de motifs sur des morceaux d’écorce servant autrefois de récipients pour l’eau, les baies et les graines.
 
En conclusion, la Culture aborigène est réellement merveilleuse et mérite que l’on s’y intéresse. Il est fort dommage que ceux qui la produise et la font vivre ne soient pas autant respectés. Les australiens commencent à se réconcilier avec un lourd passé. Ils ont amorcé un mouvement dans ce sens, mais il faudra encore probablement beaucoup de temps pour que chacun retrouve la place qui lui convienne.  

1 commentaire:

  1. Merci pour ce partage sincere et personnel de votre experience australienne. J'adhere completement a votre analyse. J'ai ressenti la meme chose, mais sans savoir l'exprimer aussi bien. Bravo!

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